Le créancier d'une obligation doit être diligent
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Le créancier d’une obligation doit être diligent (commentaire de l’arrêt de la CA de BASSE-TERRE 2ème chambre civile n° 378 du 10 mai 2021 RG 20/00685)
Dans cette affaire, un organisme financier poursuivait une saisie immobilière à l’encontre d’un bien appartenant à la caution dont il bénéficiait de la garantie.
La procédure a été initiée par un commandement de payer valant saisie immobilière en date du 13 juin 2018.
A l’audience d’orientation devant le Juge de l’Exécution, la débitrice avait soulevé entre autres arguments, la prescription de l’action au motif que plus de cinq ans s’étaient écoulés entre le dernier acte dénoncé à sa personne soit une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire le 30 avril 2013 et la date du commandement de payer du 13 juin 2018.
Elle soulevait donc la prescription quinquennale de l’action du créancier.
Pour s’opposer à la prescription, le créancier plaidait que devait être considérée comme interruptive de la prescription, l’assignation délivrée par la débitrice en contestation de l’inscription d’hypothèque, procédure engagée par acte du 29 août 2013 ayant donné lieu à un jugement en date du 20 mai 2014.
Cet argument était validé par le juge de l’exécution qui considérait au visa de l’article 2242 du Code civil que « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance » et que de ce fait cette procédure avait interrompu la prescription jusqu’au 20 mai 2014, date du jugement. Le juge en déduisait qu’en conséquence, le commandement de saisie immobilière délivré le 13 juin 2018 était valide parce qu’étant intervenu avant l’expiration du délai de la prescription quinquennale qui avait été repoussé jusqu’au 20 Mai 2019.
La débitrice relevait appel de cette décision en soulevant sur ce point deux arguments :
Le premier, au visa de l’article 2241 du Code civil, était que si la demande en justice interrompait la prescription encore fallait-il que cette demande émane du créancier et non pas du débiteur.
Le deuxième argument, tiré de l’article 2243 du Code civil, était que l’interruption était non avenue si le demandeur à l’instance s’en désistait ou si sa demande était rejetée.
Dans son arrêt du 10 mai 2021, la Cour d’Appel valide les deux arguments de la débitrice, sur la prescription pour déclarer prescrite l’action, et elle réaffirme de façon extrêmement claire qu’en dehors de l’hypothèse de l’acquiescement du débiteur ou d’un paiement même partiel de celui-ci, seul un acte émanant du créancier de l’obligation peut avoir un effet interruptif.
La Cour rappelle ainsi que la prescription extinctive est une sanction du défaut de diligence du créancier.
Dès lors, il appartient à celui qui se prétend créancier d’une obligation de mettre en œuvre les actions en justice nécessaires à la reconnaissance de son droit.
Ne l’ayant pas fait dans le délai, il encourt le risque de se voir fermer définitivement la possibilité de recouvrer sa créance.
Et il ne peut s’abriter derrière les contestations soulevées par le débiteur pour prétendre s’être acquitté de son obligation de diligence.
L’espèce commentée en est une illustration parfaite puisqu’il ressort des faits de la cause qu’entre le 30 avril 2013 et le 13 juin 2018, le créancier n’a accompli aucun acte qui a interrompu la prescription au sens des articles 2240 et suivants du Code civil et que l’action en contestation de la débitrice ne saurait être, loin s’en faut, la reconnaissance par le débiteur du droit de son créancier tel que le prévoit l’article 2240 du Code civil.
Bien au contraire, le débiteur manifestait ainsi son intention de contester cette action.
Dès lors, le jugement intervenu sur cette contestation ne saurait, comme l’a estimé le premier juge, bénéficier au créancier qui, à l’occasion de l’instance de 2013 terminée en 2014, n’avait pas été actif mais passif.
Cet Arrêt est intéressant à un deuxième titre dans la mesure où la Cour aurait pu s’en tenir à ce seul motif pour retenir la prescription extinctive au profit de la débitrice.
La Cour a cependant souhaité aller plus loin et, chose rare, a indiqué « à titre surabondant » qu’en toute hypothèse, même s’il n’était pas fait application de l’article 2242, l’article 2243 permet de considérer que l’interruption est non avenue si la demande est définitivement rejetée.
En l’espèce, la demande de la débitrice a été rejetée par jugement du 20 mai 2014 et dès lors, de ce deuxième chef, cette instance n’avait pu valoir comme acte interruptif de la prescription.
La Cour en tire la conséquence logique que l’action était prescrite au moment où le créancier a fait délivrer le commandement le 13 juin 2018.
En conséquence la Cour réforme le jugement déféré à sa censure.
L’intérêt de cette décision est d’une façon générale, de rappeler l’obligation faite à tout créancier de veiller à la conservation de sa créance et à mettre en œuvre les mesures d’exécution dans un délai sinon raisonnable mais légal (cf. Com. 09/01/1990, 88-15.354 et Civ 3ème 19/03/2020, 19-13.459).
Il n’est en effet pas admissible qu’un créancier s’endorme puis se réveille des années après pour venir réclamer son dû augmenté des intérêts courus pendant son sommeil.
La Cour d’Appel de Basse-Terre a tenu à rappeler ce principe général selon lequel l’immobilisme peut être aussi bien créateur que destructeur de droit, selon que l’on soit créancier ou débiteur.
Louis Raphaël Morton
Avocat au Barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy
Membre du Réseau GESICA
L'auteur
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