Contentieux transfrontalier - il faut choisir le bon règlement européen
ACTUALITE JURIDIQUE
Comme tout le monde le sait désormais, les décisions de justice d’un État membre de l’UE sont facilement exécutoires dans d’autres États membres de l’UE, sans qu’une procédure spéciale de reconnaissance et d’exequatur ne soit nécessaire. La seule condition est que la force exécutoire soit formellement confirmée par le tribunal qui a rendu le jugement. L’exemple suivant illustre l’importance d’une préparation minutieuse de l’exécution.
Litige de base : condamnation d’une société allemande par un tribunal italien en dommages-intérêts
La créancière, la société italienne C s.r.l., a obtenu devant le tribunal ordinaire de Nola (près de Naples), après une longue procédure judiciaire âprement menée, un jugement de première instance condamnant la société allemande D GmbH au paiement de plusieurs centaines de milliers d’euros en dommages et intérêts pour la livraison d’une machine prétendument défectueuse. Bien que la D GmbH ait fait appel auprès de la Cour d’appel de Naples, le jugement était exécutoire provisoirement sans qu’il soit possible d’éviter l’exécution par une garantie. La C s.r.l. s’est fait délivrer par le tribunal ordinaire de Nola une confirmation du jugement en tant que titre exécutoire européen sur le formulaire prévu à cet effet par le règlement (CE) n° 805/2004 (règlement sur les titres exécutoires européens). Sur cette base, la C s.r.l. a obtenu une ordonnance de saisie et de remise auprès du tribunal d’exécution compétent, le tribunal judiciaire de Tauberbischofsheim. Cette ordonnance a été notifiée aux banques de la société D GmbH.
Le règlement (CE) n° 805/2004 présuppose une créance incontestée
Toutefois, le règlement (CE) n° 805/2004 ne s’applique qu’aux créances incontestées. Or, dans le cas présent, il s’agissait d’une créance contestée puisque le jugement avait été rendu à l’issue d’une procédure judiciaire contentieuse. Le tribunal ordinaire de Nola n’aurait donc pas dû délivrer de certificat de titre exécutoire européen, mais uniquement un certificat conformément à l’article 53 du règlement (UE) n° 1215/2012 (Bruxelles 1bis). Cette confirmation permet également l’exécution transfrontalière au sein de l’Union européenne.
Différences dans les régimes du règlement (CE) n° 805/2004 et du règlement Bruxelles 1bis
La C s.r.l. avait peut-être pensé qu’une exécution transfrontalière sur la base du règlement sur le titre exécutoire européen serait plus simple que l’exécution transfrontalière sur la base du règlement Bruxelles 1bis. En effet, le règlement sur les titres exécutoires européens ne permet pas, contrairement au règlement Bruxelles 1bis, d’invoquer l’exception d’ordre public.
Ce que la C s.r.l. n’avait toutefois pas pris en compte : sur un point essentiel, le règlement sur le titre exécutoire européen présente un avantage pour le débiteur. Dans la mesure où celui-ci a formé un recours dans l’État d’origine contre la décision à exécuter, le règlement sur le titre exécutoire européen permet aux juridictions de l’État dans lequel l’exécution doit avoir lieu de suspendre l’exécution à la demande du débiteur. Cela ne serait pas possible en vertu du règlement Bruxelles 1bis (sauf dans l’hypothèse d’une demande de refus de reconnaissance de la décision originaire, qui n’a de chances d’aboutir que sous des exceptions très limitées).
Possibilité d’obtenir une suspension de l’exécution forcée sous certaines conditions
Dans ce cas d’espèce, la société D GmbH a été bien conseillée par notre cabinet, qui a découvert l’erreur dans le cadre de la confirmation formelle par le tribunal italien. Elle a ainsi obtenu du tribunal judiciaire de Tauberbischofsheim (décision du 30.08.2024 -1 M 690/24) une décision d’urgence ordonnant de suspendre provisoirement l’exécution forcée contre constitution d’une garantie. Cette décision a ensuite été confirmée par le tribunal régional de Mosbach (décision du 16.09.2024 – 5 T 37/24).
Me Daniel Smyrek, spécialiste en droit international et de l’UE, membre du réseau international d’avocats GESICA, peut vous assister dans vos litiges transfrontaliers
Ce cas montre à quel point il est important de se faire représenter par des avocats spécialisés en droit international et de l’Union européenne dans le cadre de procédures judiciaires transfrontalières. Me Daniel Smyrek vous assiste volontiers et de manière compétente pour toutes les questions relatives à la conduite de procès transfrontaliers (Commercial Litigation & Arbitration), que ce soit devant les tribunaux étatiques allemands ou les tribunaux d’arbitrage internationaux (DIS, CCI, VIAC, CMAP, Chambre de commerce de Hambourg, Chambre franco-allemande de commerce et d’industrie, ou autres).
L'auteur
Avocat