L’hospitalisation sous contrainte : une épreuve difficile mais encadrée
Publié le 10 décembre 2024
Il peut arriver à tout le monde de se trouver confronté à une situation où l’état psychique d’un proche nécessite des soins, alors même qu’il est dans une posture de déni ou, plus grave encore, lorsque l’on est seul et que son propre état mental nécessite un traitement d’ordre psychiatrique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 15 ans, de 2015 à 2021, l’on est passé de 44 000 hospitalisations à la demande d’un tiers à près de 59 000. Le pic des hospitalisations psychiatriques sans consentement a été atteint au moment du confinement. Que vous soyez confronté à la nécessité de faire hospitaliser une personne qui vous est proche ou que vous soyez confronté à la nécessité d’être hospitalisé pour recevoir des soins de manière permanente, vous traversez, dans les deux cas, une épreuve. Le législateur n’en a pris conscience que tardivement, avec la loi « Kouchner » de 2002 sur les droits des malades et l’élaboration d’un dispositif, constitué par les articles L.3212.1 et suivants du code de la santé publique. Il s’applique tant au tiers qui fait la demande d’une hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement, qu’à la personne qui subit cette mesure.
I. Demander l’hospitalisation d’un proche
Définition : l’hospitalisation sous contrainte, aujourd’hui appelée « soins psychiatriques sans consentement », consiste en la délivrance de soins et une surveillance hospitalière indispensable pour des patients dont l’état mental ne permet pas d’accepter ces soins. Le malade n’est pas consentant aux soins du fait de ses troubles mentaux, mais son état nécessite des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier.
A. Qui peut la demander ?
Le plus souvent, la demande émane des proches, qui ne peuvent plus dialoguer avec le malade en raison des troubles dont il souffre. Le code de la santé publique donne une définition très large du tiers puisqu’il évoque tout d’abord « un membre de la famille » sans distinction de degré de parenté aucun (père, mère, frères, sœurs, oncles, tantes…), mais aussi « une personne justifiant de l’existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci » (CSP, Art L.3212-1).
Cette dernière définition a été précisée par la jurisprudence. Elle considère ainsi qu’un lien fraternel caractérise la qualité de « parent ou personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne faisant l’objet des soins » sans obliger à la démonstration de liens affectifs particuliers, privilégiant une approche objective.
En revanche, une cour administrative d’appel a estimé que bien qu’infirmier extérieur à l’établissement d’accueil, une personne ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de personne susceptible d’agir dans l’intérêt du malade même si la famille de ce dernier et l’assistance sociale du secteur étaient défaillantes.
Il s’ensuit que les assistants de service social de secteur ont qualité pour déposer une demande hospitalisation à la demande d’un tiers.
Ce peut être également une personne vivant à proximité du patient qui prendra l’initiative de l’hospitalisation, mais à condition qu’elle puisse justifier de l’existence de relations antérieures à la demande de soins.
B. Pourquoi la demander ?
La décision d’admission est prononcée par le directeur de l’établissement :
- Lorsque les troubles mentaux de la personne rendent impossible son consentement, et,
- Lorsque l’état mental de la personne impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète.
Bien entendu, toutes les situations sont différentes, mais la notion de consentement est très difficile à cerner : elle peut concerner le déni, la confusion, voire même le refus si celui-ci est justifié par l’état mental du patient. Pour apprécier le consentement, il est possible de s’appuyer sur cinq facteurs : la capacité à recevoir une information adaptée, la capacité à comprendre et à écouter, la capacité à raisonner, la capacité à exprimer librement sa décision, la capacité à maintenir sa décision dans le temps.
C. Comment la demander ?
La première étape consiste à rédiger une demande écrite qui émane de la personne demandant l’hospitalisation du tiers. Cette demande comporte l’identité, la profession, l’âge, le domicile du demandeur à l’hospitalisation et du malade, ainsi que le lien entre le demandeur aux mesures de soins psychiatriques et le patient. Elle doit être manuscrite, datée et signée et il est nécessaire d’y joindre la copie d’un document officiel d’identité.
Il faut savoir que si la personne qui demande des soins ne sait pas ou ne peut pas écrire, la demande peut être reçue par le maire, le commissaire de police ou le directeur de l’établissement, qui lui en donne acte.
La deuxième étape est constituée par les certificats médicaux initiaux : la demande doit être accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de 15 jours et circonstanciés, qui doivent expressément mentionner que les troubles mentaux rendent impossible le consentement de la personne et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier.
Le premier certificat médical ne peut être établi que par un médecin n’exerçant pas dans l’établissement qui va accueillir le malade.
Le second certificat médical peut être dressé par un médecin qui exerce dans l’établissement d’accueil.
La validité de ces certificats médicaux est subordonnée à deux éléments très importants.
En premier lieu, les deux médecins qui rédigent les deux certificats médicaux ne doivent pas être parents ou alliés au quatrième degré entre eux, ni parents ou alliés des directeurs de l’établissement recevant le malade, ni de la personne ayant demandé l’hospitalisation de la personne hospitalisée.
À ce stade, un rappel s’impose sur les degrés de parenté :
- Premier degré de parenté : père/mère, fils/fille, adoptant plénièrement /adopté plénièrement ;
- Deuxième degré de parenté : grand-père/grand-mère, petit-fils/ petite-fille, frère/sœur ;
- Troisième degré de parenté : arrière-grand-père/arrière-grand-mère, arrière-petit-fils/arrière-petite-fille, oncle/tante, neveu/nièce ;
- Quatrième degré de parenté : arrière arrière grand-père/arrière arrière-grand-mère, grand-oncle/grand-tante, cousin germain/cousine germaine.
En second lieu, les certificats médicaux doivent être circonstanciés, c’est-à-dire passer par une évaluation concrète de l’état mental de la personne dont l’hospitalisation est demandée, le décrire très précisément, sans se contenter de motifs vagues et généraux, tout en mentionnant que le certificat a été dressé en conformité de l’article L.3212-1 du code de la santé publique.
Par exception, un seul certificat médical est suffisant en cas de péril imminent pour la santé de la personne dûment constatée par un certificat médical indiquant les caractéristiques de la maladie et la nécessité de recevoir des soins. Les limitations quant aux liens d’alliance ou aux degrés de parenté sont les mêmes que lorsque deux certificats médicaux sont exigés.
II. Subir une hospitalisation sans consentement
Toute personne qui a subi une hospitalisation sans consentement ressent immédiatement une sensation d’abandon et un sentiment de sidération, c’est-à-dire, pour reprendre une définition médicale, une sorte d’anéantissement soudain des fonctions vitales, avec un état de mort apparente, le tout dû à un choc émotionnel violent. En clair, le patient est « perdu ». Le personnel soignant spécifiquement formé est présent pour l’entourer et le réconforter, mais il faut savoir que le patient bénéficie d’un certain nombre de droits et que deux acteurs très importants vont intervenir au cours du séjour dans l’établissement.
A. Les droits du malade
Depuis la loi dite « Kouchner » du 5 mars 2002, le code de la santé publique précise que les restrictions à l’exercice des libertés individuelles de la personne doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de cette personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée.
Le patient dispose des droits suivants et doit en être informé :
- Le droit de communiquer avec certaines autorités : le préfet, le juge des libertés et de la détention, le procureur de la république dans le ressort duquel est situé l’établissement d’hospitalisation ;
- Le droit de saisir la commission départementale des hospitalisations psychiatriques ;
- Le droit de porter à la connaissance du contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou des situations susceptibles de relever de sa compétence ;
- Le droit de prendre conseil d’un médecin ou d’un avocat de son choix ;
- Le droit d’émettre ou de recevoir des courriers ;
- Le droit de consulter le règlement intérieur de l’établissement et de recevoir les explications qui s’y rapportent ;
- Le droit d’exercer son droit de vote ;
- Le droit de se livrer aux activités religieuses ou philosophiques de son choix.
B. L’intervention de l’avocat
L’avocat doit être présent dès le début de l’entrée dans l’établissement si le patient en fait la demande. Ces demandes sont assez rares mais très importantes car elles permettent à l’avocat de vérifier la régularité de la demande d’admission, la motivation des certificats médicaux, le délai qui les sépare, en bref, leur régularité. Toute irrégularité entraîne une impossibilité d’accueil par l’établissement. Loin d’être anodine, la présence de l’avocat dès le début évite souvent les internements abusivement demandés par un conjoint, qui seront ensuite utilisés dans le cadre d’une procédure de divorce ou d’une procédure après divorce, notamment quant aux droits que le parent interné pourra exercer sur ses enfants.
L’on a vu, par exemple, une demande faite par une infirmière, qui présentait à l’appui de sa demande un certificat médical signé par son chef de service pour faire interner son époux !
En aucune manière, la personne admise dans un établissement de santé mentale ne peut se voir refuser de consulter un avocat immédiatement.
C. L’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD)
Dans chaque tribunal judiciaire, il existe un ou plusieurs juges des libertés et de la détention qui sont soit le président du tribunal, soit des vice-présidents délégués. Parmi leurs nombreuses attributions, ils ont en charge le contrôle de la régularité des hospitalisations sans consentement.
La procédure est la suivante :
- Tout d’abord, il faut savoir que le délai maximum dans lequel le juge des libertés et de la détention peut être saisi soit par le directeur d’établissement, soit par le patient, ou éventuellement par le préfet, est de 12 jours à dater de la date d’admission, délai pendant lequel il doit tenir une audience pour vérifier la régularité de la procédure mais aussi la réalité des troubles mentaux allégués : qualité de la personne ayant formé la demande, nature des certificats médicaux, compétences de l’auteur de l’acte d’établissement, qui doit être le directeur ou une personne ayant reçu une délégation régulière. S’il n’est pas saisi dans le délai de 12 jours, la mesure prend fin ; le juge des libertés et de la détention doit vérifier que :
- Dans un délai de 24 heures à compter de l’admission, un premier certificat médical dit « certificat des 24 heures » a bien été établi et qu’il est régulier. L’on devrait dire deux certificats médicaux puisqu’un médecin généraliste réalise un examen somatique complet de la personne et qu’un psychiatre de l’établissement établit un certificat médical constatant son état mental et confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins psychiatriques. Il est à noter que le psychiatre en question ne peut pas être l’auteur de l’un des deux certificats médicaux sur la base desquels la décision d’admission a été prononcée ;
- L’admission a donné lieu à une première période d’observation dite « période d’observation de 72 heures », au cours de laquelle des médecins ont examiné le patient, afin de se prononcer sur la nécessité des soins psychiatriques : un certificat, communément appelé « certificat des 72 heures », est établi ;
- Les certificats médicaux en question sont circonstanciés et adaptés à la situation de chacune des personnes qui ont fait l’objet d’une admission. Le médecin ne saurait se contenter d’une formule selon laquelle « l’état de santé de Monsieur/Madame X nécessite une hospitalisation etc. etc. ».
Ces vérifications se font au cours d’une audience publique à laquelle tout un chacun peut assister ; jusqu’à il y a quelques années, les audiences avaient lieu dans l’enceinte des tribunaux mais désormais, les établissements spécialisés sont tenus d’aménager une salle dédiée aux audiences du juge des libertés et de la détention, ce qui peut poser problème au regard de la nécessaire publicité des débats. Le patient doit obligatoirement être assisté d’un avocat.
À l’issue de l’audience, le juge des libertés et de la détention peut :
- Ordonner la mainlevée de la mesure par décision rendue sur-le-champ ;
- Mettre sa décision en délibéré mais faire établir un programme de soins dans un délai de 24 heures avant d’ordonner la mainlevée pour que soit mis en place un programme de soins. La mesure d’hospitalisation prend fin dès l’établissement de ce programme ou à l’issue du délai de 24 heures ;
- Ordonner le maintien de la mesure : dans ce cas, le juge devra être saisi à nouveau tous les six mois, si la mesure n’a pas été levée entre-temps.
En conclusion, l’on relèvera que les apports de la loi du 5 mars 2002, aujourd’hui codifiée dans le code de la santé publique, ont été considérables. En aucune manière, les personnes qui subissent ou demandent une hospitalisation d’office ne doivent penser que l’on se trouve dans un cadre ressemblant à celui du film « vol au-dessus d’un nid de coucou », mais au contraire, que tout est fait pour que les droits, les libertés et l’intégrité du patient soient respectés. La présence de l’avocat dès le début est à cet égard fondamentale, de même qu’il doit disposer du temps nécessaire pour examiner la régularité de la procédure, mais aussi la véracité des troubles ayant motivé l’internement et pouvoir, à cet effet, s’entretenir comme il le veut avec le patient.
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