Confondre ses intérêts personnels avec ceux de l’entreprise : les dangers de l’abus de bien social
Publié le 24 décembre 2024
L’exposition sur la scène médiatique a souvent été révélatrice d’acteurs de ce que l’on a communément appelé « les affaires ». Derrière cette expression empruntée au journalisme se cache, en réalité, un délit pénal. Il s’agit de l’abus de biens sociaux, qui a donné lieu à des procès politico-médiatiques durant les années 90, mais aussi jusqu’à aujourd’hui. L’on pourrait penser que l’abus de biens sociaux- en abrégé ABS- ne concerne que les célébrités et les grandes entreprises, qui ont droit aux gros titres de la presse, à l’ouverture des journaux télévisés ou radiophoniques. Il n’en est rien. Tout chef d’entreprise qu’elle soit grande, moyenne, ou petite, s’expose à des poursuites pénales s’il abuse des biens sociaux de la société qu’il dirige. Cet article a pour but de vous informer : comment vous en protéger, car si le chef d’entreprise a pour fonction de servir la société qu’il dirige, il n’a pas vocation à s’en servir, sauf dans certains cas tout-à-fait légaux. Il ne lui faut cependant pas en abuser, sous peine de s’exposer aux foudres des tribunaux correctionnels, devant lesquels plus dure sera la chute.
I. Les personnes punissables
Définition : L’abus de bien sociaux consiste dans le fait, pour certains dirigeants de sociétés commerciales, de faire, de mauvaise foi, des biens de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement.
Textes : Articles L.241-3, L.242-6 du code de commerce, 131-38 du code pénal.
A. Les auteurs principaux
Les dirigeants de sociétés commerciales sont seuls justiciables de l’abus de bien social. Par suite, les gérants de sociétés civiles (société civile immobilière, société civile professionnelle, société civile de moyens) échappent à l’incrimination. Il peut s’agir :
- Du gérant de la société à responsabilité limitée (SARL) ;
- Du gérant de l’EURL (SARL à associé unique) ;
- Du président de la Société Anonyme (SA) ;
- Du directeur général de la Société Anonyme, puisqu’il est admis que celui-ci tire de la loi les mêmes pouvoirs que le président ;
- Des administrateurs de la Société Anonyme, c’est-à-dire des membres du conseil d’administration ;
- Des membres du directoire et du conseil de surveillance dans les Sociétés Anonymes à directoire ;
- Du président de la Société par Actions Simplifiée (SAS) ;
- Du directeur général de la Société par Actions Simplifiée ;
L’article L.241-3 du code de commerce vise également les dirigeants de fait c’est-à-dire, selon la Cour de cassation, ceux qui, sans en avoir reçu mandat, ont de fait exercé des pouvoirs de direction et de gestion de la société en toute autonomie (signature de contrats, maniement de fonds, présidence d’assemblée générale, prise de décision aux lieu et place des dirigeants de droit…).
Par extension, la jurisprudence considère que le liquidateur amiable d’une société peut être poursuivi pour abus de biens sociaux.
Cependant, tous les dirigeants de sociétés commerciales ne sont pas concernés par le délit d’abus de biens sociaux : en sont exclus les dirigeants des sociétés en nom collectif, c’est-à-dire la société dans laquelle les associés sont solidairement et indéfiniment responsables du passif social, ainsi que des sociétés en commandite simple, ou encore des dirigeants de sociétés de droit étranger ayant leur siège social à l’étranger.
Ceux-ci ne sont pas pour autant exonérés de toute responsabilité pénale : ils peuvent être poursuivis du chef d’abus de confiance sur le fondement de l’article 314-1 du code pénal, tout comme les dirigeants des sociétés civiles.
B. Les complices
La complicité se définit comme le fait, pour une ou plusieurs personnes, d’avoir sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation d’une infraction (article 121-7 du code pénal). En clair, le complice est celui qui participe au délit d’abus de biens sociaux.
En matière d’abus de biens sociaux, la jurisprudence se montre assez rigoureuse puisqu’elle a pu condamner pour complicité d’abus de biens sociaux le commissaire aux comptes de la société, son expert-comptable, le banquier de la société et même un ancien ministre.
C. Les receleurs
Se rend coupable du délit de recel celui qui dissimule, détient ou transmet une chose ou fait office d’intermédiaire pour transmettre cette chose en sachant qu’elle provient d’un crime ou d’un délit (article 321-1 du code pénal). Dans le langage courant, receler signifie « cacher », « garder » ou encore « détenir ».
Appliqué à l’abus de biens sociaux, le receleur est celui qui va en tirer profit de manière indirecte sans pour autant être complice.
II. Les éléments constitutifs de l’infraction
A. L’élément matériel
En premier lieu, pour que le délit d’abus de biens sociaux soit constitué, il est indispensable qu’il soit fait un usage des biens de la société contraire à l’intérêt de celle-ci, voire à son objet social.
Les biens sociaux sont tous les biens dont la société est propriétaire, même s’il s’agit le plus souvent des fonds de celle-ci. Ainsi en est-il des biens incorporels (brevets, marques, dessins et modèles, baux civils ou commerciaux), mais aussi de ses biens mobiliers ou de ses immeubles.
Tout comme pour les personnes incriminées, la notion d’usage est interprétée très largement par la jurisprudence : au premier chef, il s’agit d’un acte positif qui peut consister, pour le dirigeant, à s’approprier l’un des biens de la société. Mais il peut s’agir également d’une abstention : la jurisprudence a ainsi estimé que l’omission de réintégrer dans l’actif d’une SARL une somme perçue par erreur par une SCI constituée par les mêmes associés relevait de l’abus de bien social.
En second lieu, l’usage (ou l’abstention) doit être contraire à l’intérêt de la société. Dans la plupart des cas, le dirigeant agit pour son intérêt personnel mais, une nouvelle fois, la notion est entendue de manière extensive, pour le cas où, par exemple, un acte de corruption a été commis- ce qui constitue une infraction contraire à l’intérêt de la société- mais que celle-ci en a tiré profit.
À titre d’exemple, ont été retenus comme constitutifs de l’abus de biens sociaux :
- Le fait, pour le dirigeant, de s’octroyer une rémunération excessive eu égard à la situation de la société ;
- Le fait, pour le dirigeant, de faire souscrire par la société des crédits injustifiés ;
- Le fait, pour le dirigeant, de faire effectuer des dépenses par la société pour son propre compte, sans procéder à leur remboursement ;
- Le fait, pour le dirigeant, d’utiliser la société pour servir les intérêts d’une autre société dans laquelle il possède des intérêts directs ou indirects, par exemple payer des dépenses de cette société ou encore procéder à un détournement de clientèle au bénéfice de cette dernière ;
- Le fait, pour le dirigeant, de ne pas réclamer le paiement de la dette d’une société tiers dirigée par l’un de ses amis ;
- Le fait, pour un dirigeant, d’ouvrir un découvert sur le compte courant de la société et de l’utiliser pour son propre compte ;
- Le fait, pour le dirigeant, de prendre régulièrement des produits de la société sans les payer ;
- Le fait, pour le dirigeant, d’utiliser le compte bancaire pour financer ses dépenses personnelles, par exemple payer ses amendes ;
- Le fait, pour le dirigeant, de détourner le temps de travail de ses salariés pour son intérêt personnel.
B. L’élément intentionnel
L’élément intentionnel de l’infraction est clairement visé par les textes : le dirigeant doit avoir agi de mauvaise foi, c’est-à-dire en ayant connaissance de ce qu’il agissait dans son intérêt personnel mais aussi en méconnaissance de l’intérêt social. C’est notamment la raison pour laquelle la simple passivité du dirigeant ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi de ce dernier.
Très sévère en matière d’abus de biens sociaux, la Cour de cassation tend à assimiler poursuite de l’intérêt personnel et contrariété à l’intérêt social en estimant qu’en l’absence de justification du caractère social des dépenses litigieuses, le délit d’abus de biens sociaux est caractérisé.
III. Prescription – répression
A. La prescription
La prescription est de six années et court à compter du jour où le délit a été commis. Cependant, et le plus souvent, la découverte du corps du délit a lieu postérieurement à la commission de celui-ci puisque l’essentiel des biens de la société qui sont détournés sont des liquidités.
C’est la raison pour laquelle la jurisprudence estime qu’en cas de dissimulations, qui peuvent être le fruit de manipulations comptables ou de l’établissement de fausses factures, le point de départ de la prescription est reporté au jour où l’abus de biens sociaux est découvert.
Par conséquent, passé un délai de 12 ans après la commission du délit, le ou les auteurs de celui-ci ne pourront plus être poursuivis.
B. La répression
1. Les personnes physiques
Il ressort des articles L.241-3 et L.242-6 du code de commerce que le délit d’abus de biens sociaux est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 €.
Des peines complémentaires peuvent s’y ajouter, comme le prévoit l’article L.249-1 du code de commerce, comme l’interdiction d’exercer une activité commerciale ou industrielle ou encore l’interdiction de gérer, d’administrer, de contrôler une société commerciale ou industrielle.
2. Les personnes morales (sociétés)
Dans les groupes de sociétés, le dirigeant de la personne morale peut être une personne morale, c’est-à-dire une société. La responsabilité pénale des personnes morales est admise depuis longtemps et l’abus de biens sociaux n’y fait pas exception.
L’article L.242-6 du code de commerce prévoit une amende pouvant s’élever, selon le cas, de 1 875 000 € à 2 500 000 €.
On le voit, la jurisprudence se montre particulièrement sévère en matière d’abus de biens sociaux, comme dans toutes les infractions financières parfois qualifiées de « délinquance en col blanc ». C’est la raison pour laquelle l’intervention de l’avocat est plus que jamais indispensable et ce, à un double titre : tout d’abord, en cas de doute sur la légalité d’un acte que le dirigeant se propose de réaliser, il lui est nécessaire de consulter son avocat pour que celui-ci procède à une analyse de l’acte au regard de l’intérêt de la société. Ensuite, cette intervention en amont se double naturellement d’une intervention en aval, lorsque le délit a été révélé. L’abus de bien social est une infraction complexe qui fait systématiquement l’objet d’une instruction confiée à un juge qui procédera à des investigations longues, délicates et sinueuses, puisqu’en général, les abus de biens sociaux se commettent dans le temps et sont constitués d’opérations sophistiquées qui reposent sur des mécanismes, la plupart du temps très finement élaborés par le recours à l’ingénierie financière.
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