Entreprises, Entrepreneurs en difficultés, en période de COVID. 19 Comment se placer sous la protection de la justice après l’Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020
ACTUALITE JURIDIQUE
Entreprises, Entrepreneurs en difficultés, en période de COVID 19
Comment se placer sous la protection de la justice après
l’Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020
La période de crise sanitaire que nous connaissons vous place dans une situation difficile, voire très difficile dans votre activité. Si vous ne faites pas partie des entreprises dont les activités demeurent autorisées et, même quand elles le sont, votre trésorerie commence à manquer et vous vous interrogez.
Une fois que vous avez fait le tour des mesures immédiates de :
*Chômage partiel, télétravail, congés
*Prêt bancaire garanti par l’Etat,
*Report de paiement de certaines factures
*Délais de paiement de cotisations et d’impôts directs,
Il se peut que vous fassiez le constat que cela ne suffira pas et que vous devez vous placer sous la protection de la justice.
Les procédures classiques de traitement judiciaire des difficultés des entreprises continuent de fonctionner pendant la période de crise sanitaire.
I – A qui s’adressent telles ?
Aux sociétés commerciales, aux agriculteurs, aux artisans, aux professions libérales mais aussi aux associations qui peuvent être considérées comme des entreprises du fait de leur activité économique.
II Quelles sont -elles ?
La procédure de conciliation
La procédure de conciliation, qui est confidentielle, a pour but de trouver un accord amiable entre l’entreprise et ses principaux créanciers et partenaires, par la nomination d’un conciliateur.
Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Il peut également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l’entreprise, à la poursuite de l’activité économique et au maintien de l’emploi. Il peut être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d’une mission ayant pour objet l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
La procédure de sauvegarde
La procédure de sauvegarde est une possibilité offerte aux entreprises rencontrant des difficultés financières mais qui ne sont pas encore en cessation de paiement.
Ouverte à la demande du dirigeant de l’entreprise, il s’agit d’une procédure préventive destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise avant qu’elle ne soit en état de cessation de paiements.
Le principe est qu’au jour d’ouverture de la procédure, toutes les dettes antérieures sont gelées.
Cette procédure s’ouvre d’abord sur une période d’observation permettant au tribunal et au mandataire judicaire désigné d’examiner la situation économique de l’entreprise afin de lui proposer un plan de sauvegarde. Ce plan a pour but d’étaler le remboursement des dettes de l’entreprise, celle-ci poursuivant son activité, ce plan étant d’une durée fixée en général entre 5 et 10 ans. L’inexécution du plan peut entraîner sa résolution et mener l’entreprise au redressement ou à la liquidation judiciaire.
La procédure de redressement Judiciaire
Elle concerne les entreprises qui sont déjà en état de cessation de paiements.
Elle est destinée à permettre la poursuite de l’activité économique de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.
L’ouverture de la procédure entraîne la suspension des poursuites ainsi que la plupart des intérêts et des majorations.
La procédure de redressement judiciaire commence par une période d’observation destinée à faire le point sur la situation de l’entreprise et à étudier ses possibilités de redressement par le tribunal dans un dialogue avec le chef d’entreprise et le mandataire judicaire et éventuellement l’administrateur judiciaire.
Si l’entreprise est viable, la procédure de redressement se termine par la mise en place d’un plan de redressement qui s’étale là aussi entre 5 et 10 ans pour permettre à l’entreprise de repartir sur de nouvelles bases. Si malheureusement l’entreprise ne peut repartir elle sera contrainte à la liquidation judiciaire.
La procédure de liquidation judiciaire
Elle intervient lorsque la sauvegarde ou le redressement de l’entreprise n’ont pu permettre le redressement de l’entreprise ou qu’il n’est pas ou plus envisageable. Dès l’ouverture de la procédure, la gestion de l’entreprise est confiée à un liquidateur judiciaire, le représentant de l’entreprise étant dessaisi de ses fonctions de dirigeant. Comme pour la sauvegarde et le redressement judiciaires, les dettes antérieures au jugement d’ouverture sont gelées. La clôture de la procédure de liquidation judiciaire met fin à l’activité de l’entreprise. Elle pourra faire l’objet d’une reprise globale ou partielle, par un repreneur non lié au dirigeant de l’entreprise.
III Comment cela fonctionne-t-il en période d’état d’urgence sanitaire ?
Durée de la période sanitaire
Cette période impliquant des mesures exceptionnelles, doit être définie dans le temps.
Il faut tout d’abord rappeler que la durée de l’état d’urgence a été fixé par la Loi 2020- 290 du 23 mars 2020, publiée le 24 mars 2020, à deux mois à compter de son entrée vigueur, l’état d’urgence court donc du 24 mars au 24 mai 2020.
La cessation des paiements
L’existence ou pas de la cessation des paiements conditionne le choix de la procédure comme évoqué supra, la difficulté étant de savoir à quelle date commence l’état de cessation des paiements.
Qu’est-ce tout d’abord la cessation de paiements ?
L’article L 631-1 du code de commerce dispose que le débiteur (l’entreprise) est en cessation de paiement lorsqu’elle est « dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible », concrètement, l’actif disponible correspond à la trésorerie et à tout ce qui peut être transformé en liquidités rapidement sans compromettre la poursuite des activités de l’entreprise, comme la vente d’actifs non indispensables.
Le passif exigible est est constitué par l’ensemble des dettes arrivées à échéance et dont les créanciers peuvent exiger immédiatement le paiement. Ces dettes doivent être certaines (non litigieuses et non contestées) et liquides (au montant déterminé) : factures arrivées à échéance, salaires à verser, loyer etc. Les dettes qui ont fait l’objet d’accord de délais par le créancier ne sont pas considérées comme du passif exigible.
A quelle date est fixée la cessation des paiements ?
Cette question est très importante et fait l’objet d’une approche particulière dans la période d’urgence sanitaire.
Pendant la période allant du 12 mars au 24 août 2020 (24 mai + 3 mois), une entreprise ne sera pas considérée, comme étant en état de cessation des paiements puisque sa situation sera appréciée au 12 mars 2020, date à laquelle elle n’était pas en état de cessation des paiements.
Cela signifie deux choses :
D’une part, que l’entreprise peut recourir aux procédures préventives de conciliation et de sauvegarde, après le 12 mars 2020 et pendant toute la période correspondant à la durée de l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois. Même si elles connaissent une aggravation de leur situation telle qu’elles sont en cessation des paiements elles bénéficient quand même de la possibilité de recourir à ces procédures.
D’autre part cela a une conséquence importante : le chef d’entreprise est protégé d’une mise en cause éventuelle de sa responsabilité. Le tribunal ne pourra lui reprocher un manquement à son obligation de déclarer l’état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours prévu par la Loi.
Question : pour autant, le chef d’entreprise peut-il demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, du fait de la gravité de sa situation et renoncer au bénéfice de cette fixation exceptionnelle de la date de cessation des paiements ? Assurément oui, mais cela restera à l’appréciation du tribunal.
Cette interprétation découle du Rapport au Président de la République relatif à l’Ordonnance du 27 mars 2020, qui précise que « la fixation au 12 mars 2020 de la date de l’appréciation de l’état de cessation des paiements ne peut être conçue que dans l’intérêt du débiteur, ce qui évite, en outre, qu’il ne s’expose à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement cet état. Toutefois, il convient de réserver les possibilités de fraude aux droits des créanciers, tant de la part du débiteur que d’autres créanciers, ce qui justifie également l’application des dispositions de l’article L. 631-8 du code de commerce, relatif aux nullités de la période suspecte ».
Il sera donc intéressant d’avoir le retour de la pratique sur ce point.
Prise en charge des salaires
Les délais et le mode de transmission des créances salariales des entreprises par le mandataire sont accélérées pour permettre le paiement des créances salariales.
Comment saisir le tribunal pour déclencher l’ouverture d’une procédure qu’elle soit de conciliation, sauvegarde redressement ou liquidation judiciaire pendant la période d’Urgence Sanitaire Covid 19
Le chef d’entreprise peut jusqu’à l’expiration d’un mois après la date de cessation d’urgence sanitaire, soit, pour l’instant le 24 juin 2020, utiliser une disposition existant dans le code de procédure civile (article 446-1) qui dispose que « lorsqu’une disposition particulière le prévoit, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit sans se présenter à l’audience. »
Le chef d’entreprise peut donc saisir le tribunal par tous moyens.
Les tribunaux de commerce sont tous mobilisés pour organiser leur saisine par voie informatique, contrairement aux règles habituelles qui obligent le chef d’entreprise ou son avocat à se rendre au greffe pour saisir le tribunal.
Le mieux est de vérifier sur le site internet de votre tribunal ce qu’il préconise.
Vous pouvez également vous rendre sur la plateforme du Tribunal Digital : https://www.tribunaldigital.fr/
Les audiences peuvent se faire sans le chef d’entreprise ou le plus souvent avec des audiences par internet (les première Visio Audiences en Région Paca se tiennent actuellement par aux tribunaux de commerce de Nice et d’Antibes) .
Ensuite ainsi que le prévoit le texte de l’Ordonnance, les communications entre le greffe du tribunal, l’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire ainsi qu’entre les organes de la procédure se font par tout moyen.
Que se passe-t-il pour ceux qui étaient en procédure de conciliation, de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou encore en plan
Conciliation : La durée de la conciliation est prolongée de plein droit de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020.
Sauvegarde et redressement judiciaire : il y a prolongation, de plein droit, sans qu’il soit nécessaire de tenir une audience ou de rendre un jugement, de la durée des périodes d’observation, des plans, des poursuites d’activité en liquidation judiciaire et des procédures de liquidation judiciaire simplifiée en cours pour une période d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire soit jusqu’au 24 juin 2020.
Une prolongation des plans de sauvegarde, et de redressement peut être ordonnée par le Président du tribunal de commerce, soit sur requête du commissaire à l’exécution du plan pour une durée correspondant à la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de trois mois (24 août 2020), soit sur requête du ministère public, pour une durée maximale d’un an.
Une prolongation supplémentaire du plan pourra être ordonnée par le tribunal après le 24 août 2020, et ce pendant une durée de 6 mois sur requête du commissaire à l’exécution du plan ou du ministère public, pour une durée maximum d’un an.
Isabelle SCHMELTZ
Avocat au Barreau de Nice
Spécialiste en droit des sociétés
Cabinet AJIS AVOCAT – www.ajis.fr
Pour aller plus loin …
Les textes :
LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (1)
Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020
Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale
L'auteur
Avocat