La responsabilité des EHPAD

Le 10 avril 2025 par ,

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600 000 résidents environ sont répartis dans les 7500 établissements d’hébergement médicalisé pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) situés en France. Régis par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, ces EHPAD peuvent être publics (c’est-à-dire relever du Conseil général du département, de la Commune ou du secteur hospitalier) ou privés, relevant d’associations à but non lucratif, ou privés à vocation commerciale. Cette distinction est importante car le contentieux généré par les EHPAD publics relève de la juridiction administrative, tandis que les juridictions de l’ordre judiciaire se prononcent sur les procès engageant les EHPAD privés. Ces litiges sont loin d’être rares. Les hypothèses de responsabilité sont multiples : actes de soins, sécurité des résidents, manquements à l’obligation d’assurer la sécurité alimentaire, perte et disparition ou vol des biens des résidents. C’est pourquoi il est apparu opportun de faire un point sur les principes de responsabilité qui gouvernent tant les EHPAD que leurs dirigeants et leurs résidents.

I.    LA RESPONSABILITE PERSONNELLE DES EHPAD ET DE LEURS DIRIGEANTS

A.    Obligations et responsabilité de l’établissement

Elles sont définies à l’article L.311-3 du code de l’action sociale et de la famille : « L’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne accueillie et accompagnée par des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

Lui sont assurés : 1° Le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée et familiale, de son intimité, de sa sécurité et de son droit à aller et venir librement ; »

Composé de huit alinéas, ce texte constitue le creuset de l’obligation qui pèse sur l’EHPAD, dont la jurisprudence a été amenée à préciser les contours.

L’on devine immédiatement que la tâche n’a pas été aisée : comment concilier la sécurité d’un résident, par définition dépendant, et sa liberté d’aller et venir ?

Le principe est simple : l’EHPAD supporte une obligation de vigilance et de sécurité de moyens envers les résidents, de sorte que sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée que pour manquement fautif prouvé à cette obligation.

Cependant, cette règle a été affinée pour tenir compte des circonstances de chaque espèce puisqu’il est admis que cette obligation de moyens s’apprécie au regard des mesures prises par l’établissement pour assurer la sécurité de chaque résident dans le respect de sa dignité, au regard de son état de santé et de son comportement.

C’est ainsi que lorsque les enfants d’un résident ont exigé par courrier le maintien de leur mère en EHPAD qui avait déjà fugué une fois, que l’établissement n’a pas répondu et n’a pas davantage mis en œuvre la clause de contrat de séjour imposant d’alerter la famille et de rechercher une solution alternative plus adaptée, il a été considéré comme fautif.

Autrement dit- et c’est tout l’intérêt de cette décision- ce n’est pas l’absence de vigilance qui constitue le fait matériel de la cause de la faute, mais le fait de s’être abstenu de prendre toutes mesures avant la survenance du dommage. Il s’ensuit que comme le fait générateur de la responsabilité est antérieur aux circonstances dans lesquelles la personne a échappé à la vigilance des professionnels, la conséquence de ce renforcement de l’obligation de sécurité est que la survenance du dommage engage de plein droit la responsabilité de l’organisme gestionnaire.

L’analyse de certains arrêts montre une approche pragmatique puisque dans des espèces similaires, des solutions radicalement opposées ont pu être retenues.

Dans un premier cas, un résident est décédé d’une chute dans l’enceinte de l’établissement après avoir été laissé sans surveillance pendant une vingtaine de minutes. Il souffrait de désorientation et avait déjà chuté à de multiples reprises. La cour administrative d’appel a estimé que le recours subrogatoire de l’assureur ONIAM devait être rejeté, dans la mesure où le résident faisait l’objet d’une surveillance particulière dans le service qui n’était pourtant pas spécialisé dans ce type de patients en perte d’autonomie. Elle en a déduit que l’EHPAD avait mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour surveiller au mieux ce résident, prenant soin de réaffirmer le principe de liberté d’aller et venir, qui s’accommode mal de l’obligation de sécurité.

Dans un second cas, tout à fait semblable, c’est une patiente hospitalisée pour des examens cardiologiques qui s’est levée en pleine nuit et s’est fracturé le poignet et le genou en chutant. Ses soins ont nécessité une opération chirurgicale. La Cour de cassation a estimé que l’état de la patiente ne justifiait pas une surveillance particulière et qu’elle n’avait pas été victime de mauvais traitements. Elle a relevé que la surveillance mise en œuvre dans la clinique était bien adaptée à l’état de la patiente, avec lequel elle était proportionnée.

Bien que cette deuxième décision n’ait pas été rendue à propos d’un EHPAD mais d’un établissement hospitalier, elle permet d’éclairer l’appréciation empirique de l’exécution de l’obligation de vigilance de sécurité et de moyens.

L’on peut également citer une décision qui a estimé que la survenue d’une intoxication alimentaire relevait, alors même qu’il n’était pas possible d’en définir les circonstances, d’un fonctionnement défectueux du service public, et donc de l’EHPAD.

B.    Responsabilité personnelle du dirigeant et du personnel soignant

Sur le plan pénal, le dirigeant de l’EHPAD est susceptible d’être poursuivi pour mise en danger de la vie d’autrui (code pénal, article 223-1).

 

II.    LA RESPONSABILITE DES EHPAD DU FAIT DE LEURS RESIDENTS ET DES CHOSES

A.    Responsabilité des EHPAD du fait de leurs résidents

Les incidents entre les personnes qui se trouvent placées en EHPAD sont moins rares qu’il n’y paraît, d’autant qu’un certain nombre d’entre elles est atteint de maladies neurodégénératives.

Dans ce cas, la famille de l’une ou l’autre partie cherche à mettre en cause l’EHPAD en lui imputant tel ou tel manquement à son obligation de sécurité.

C’est ainsi que dans une espèce soumise à la Cour de cassation, un pensionnaire atteint de la maladie d’Alzheimer avait porté des coups mortels à un autre pensionnaire au cours de déambulations nocturnes. Il ressortait des éléments que l’agresseur avait séjourné auparavant dans un centre spécialisé en psychiatrie pour un état d’agitation et des problèmes d’agressivité envers son épouse, ce dont l’EHPAD avait été informé. Il était également établi que la nuit du décès, l’établissement n’avait effectué que trois rondes sur les cinq auxquelles il s’était engagé par protocole.

C’est bien la responsabilité de l’agresseur qui a été retenue, la Cour de cassation ayant refusé d’appliquer l’article 1384 alinéa 1 ancien du Code civil en estimant que l’établissement n’avait pas commis de faute ayant joué un rôle causal dans la survenance du dommage, dans la mesure où il n’était pas démontré que l’absence des deux dernières rondes ait eu un rôle causal dans la survenance des faits, à partir du moment où il n’était pas établi que les faits s’étaient produits à l’heure où l’autre ronde aurait dû avoir lieu.

Le fait qu’une faute soit imputable à l’établissement n’exclut pas en soi l’existence d’une autre faute ayant concouru aux dommages et donc la présence de coauteurs, qui peuvent parfaitement être des résidents.

Dans une autre affaire, un incendie s’est déclaré dans les locaux d’un EHPAD à la suite d’un départ de feu dans la chambre de l’un des résidents, qui décédera des suites de l’accident. L’assureur de l’EHPAD a exercé une action récursoire contre l’assureur du défunt qui a été rejetée, au motif que l’incendie était imputable à une faute de l’établissement. Pour ce faire, la cour a relevé que l’incendie avait bien pris naissance dans la chambre du résident alité ayant allumé puis fait tomber ou mal éteint un cigare et ainsi mis le feu à son lit. La cour a ajouté qu’il ressortait du dossier que tant les infirmières que les aides-soignantes de l’EHPAD étaient au courant du fait que cette personne fumait dans son lit et qu’elle disposait à côté de son lit d’un adaptable contenant notamment ses cigarettes fabriquées, outre qu’elle donnait de l’argent pour leur achat au personnel de l’EHPAD (!).

Dans cette affaire peu commune, aucune des parties n’a pu justifier d’une interdiction faite par la direction aux résidents de fumer, mais la juridiction a considéré que cette règle élémentaire ne pouvait être ignorée du personnel soignant, qui avait par ailleurs reconnu qu’il lui arrivait d’allumer des cigares à la victime alors qu’elle se trouvait dans son lit et qu’elle était décrite comme ralentie, très affaiblie, très fatiguée depuis plusieurs jours, ce qui était constitutif d’une faute de l’EHPAD.

B.    Responsabilité des EHPAD en cas de perte ou de vol de biens ou de choses

La règle est très simple : l’article premier de la Loi n° 92-614 du 6 juillet 1992 relative à la responsabilité du fait des vols, pertes et détériorations des objets déposés dans les établissements de santé et certains établissements sociaux ou médico-sociaux, et à la vente des objets abandonnés dans ces établissements dispose que les établissements de santé, ainsi que les établissements sociaux ou médico-sociaux hébergeant des personnes âgées ou des adultes handicapés, sont, qu’ils soient publics ou privés, responsables de plein droit du vol, de la perte ou de la détérioration des objets déposés entre les mains des préposés commis à cet effet ou d’un comptable public, par les personnes qui y sont admises ou hébergées.

L’article neuf ajoute que toute clause contraire est réputée non écrite.

Voilà une disposition dont la rareté mérite d’être soulignée : la clarté et l’efficacité.

L'auteur