Le péché de recel...
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Le Péché de recel…
Plus capiteux que capital, le recel de succession parait tenir du péché à bien des égards…
Il se tient à distance de son frère adultérin, le Vol, dont il méprise la brutalité.
Il fraye plus volontiers avec ses sœurs Colère, Envie, Orgueil.
Il partage avec Luxure la sensualité épidermique, électrique, du baiser volé, de la caresse illégitime et secrète.
Car la jouissance sourde qui mâtine le recel de succession tire sa substance des scories de l’enfance.
Manœuvrer, par fraude, en vue de rompre l’égalité du partage entre co héritiers, c’est réaliser enfin le fantasme d’être l’unique, parmi la fratrie, à posséder l’amour parental, réifié depuis le décès de ses auteurs, incarné dans cette chose, cet objet, cet immeuble qui appartient à tous mais que l’on possède seul, secrètement.
L’amour exclusif, enfin… entre ses mains.
Le recel comme revanche sur cette « concurrence en amour » qui caractérise et frustre l’enfance de tous ceux qui ont eu frères et sœurs, nul ne l’identifie en tant que tel.
Mais il est remarquable que chacun y renifle pourtant l’âcreté sulfureuse du péché, et y réponde selon des considérations qui frôlent la sphère spirituelle, j’oserai dire la tradition religieuse.
« Je reconnais devant mes frères que j’ai péché en pensée, en parole, par action et par omission. »
La Jurisprudence se prête, sans le rechercher le moins du monde, à l’examen de ces modes de commission tels qu’ils sont confiés, en aveu par le croyant, à son Dieu.
Car les éléments constitutifs du recel, classiquement analysés en élément intentionnel et matériel, font depuis longue date l’objet d’une appréciation parfaitement souveraine quant aux circonstances dudit délit civil, tel que la Cour de Cassation l’a rappelé à maintes reprises (Cass 1ère Civ 13 juin 1960, JCP G1960, 119 – Cass 1ère Civ 28 novembre 1980, JCP G1981, II, 19667 – Cass 1ère Civ 10 mars 1993, Jurisdata n°1993-000417).
Les décisions rendues par les juridictions du fond en suite de ces arrêts sont allées bien au-delà de la stricte définition des deux éléments précités et la notion de recel est considérée comme englobant toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et ayant pour but de rompre l’égalité du partage entre cohéritiers ou de modifier leur vocation héréditaire quels que soient les moyens employés pour y parvenir (Cass Civ 1ère Civ 7 juillet 1982, n°81-14.218).
Et en l’espèce du recel, l’élément matériel ne réside absolument pas dans le fait d’opérer soi- même le transfert matériel de l’objet du recel, mais dans le fait de commettre une action propre à fausser l’équilibre successoral.
« Pensée et parole »:
A condition d’en tirer profit personnellement et d’être héritier, le receleur de succession peut en subir la peine pour avoir conçu l’action (pensée) et avoir donné l’instruction (parole) de la commettre.
Il peut être condamné au côté du commettant, son complice co-héritier. Si le commettant n’est pas héritier il commet un vol, pour sa part. Mais l’héritier complice du vol par instruction donnée commet bien un recel successoral.
Car un recel de succession peut être commis à plusieurs, contre d’autres…
« Action »
C’est l’acte positif et classique de préhension de la chose, matérielle ou immatérielle, qui n’est pas seulement la chose d’autrui puisqu’elle est aussi la sienne, pour la faire sienne seulement, par tout moyen frauduleux car en vue de rompre l’égalité du partage.
« Omission »
Plus finement, et en illustration parfaite d’une vision ésotérique mais libérée des contraintes duales et rigides que constitue la vérification des deux éléments constitutifs classiques de ce délit civil, l’élément matériel du recel peut être constitué par une omission, laquelle omission peut revêtir aussi bien un aspect négatif (simple abstention) qu’un aspect positif (silence gardé volontairement sur des sommes données ou dues).
Et les deux aspects peuvent parfaitement coexister tel que la jurisprudence en la matière le démontre sans peine et dans des cas d’espèce forts différents.
Ainsi, l’abstention a été considérée comme constitutive de l’élément matériel du recel dans une espèce où deux héritiers n’ont pas déclaré au notaire chargé de la succession l’existence de comptes bancaires dont ils avaient connaissance (Cass 1ère civ – 28 janvier 1997, Jurisdata n°1997 – 000350).
Ont également été considérés comme constitutifs de l’élément matériel du recel la non révélation de libéralités soit par exemple la dissimulation d’un don manuel, ou d’une donation soumise à rapport (Cass Civ 21 mars 1894 – D 19984,1, 345), le prélèvement de fonds et leurs dissimulations (Cass Civ 1ère Civ – 29 juin 2011) la dissimulation de remises de chèques (Cass 1ère Civ 20 juin 2012, n°11-17.383).
Le péché ne peut se cacher sous la cape dont il se couvre.
« C’est pourquoi je supplie *** et vous aussi mes frères *** »
Le repentir…
Pierre angulaire du péché regretté, avoué, expié par pénitence et pardonné de ces seuls faits chez les uns, car l’aveu et le regret devant son Dieu y suffisent, la faute parait plus complexe à gérer chez les autres, car les transgressions vis-à-vis d’autrui n’obtiennent pas d’expiation jusqu’au remboursement, à autrui, de ce que le fautif lui doit, et surtout obtention de son pardon, sincère et non cruel.
On imaginerait une Justice Civile exempte de ces préoccupations, l’Ordre judiciaire protestant à l’envie de ce qu’il est incongru de plaider la « clémence » là ou circonstances et personnalité doivent suffire à calibrer la peine, ou guider le juge civil vers l’opportunité de sa décision.
Elle ne l’est pas.
L’héritier, auteur ou complice des détournements ne sera pas sanctionné si, spontanément et avant toutes poursuites, il a restitué les objets recelés (Civ. 1ère, 14 juin 2005 n° 04-10.755).
La 1ère chambre civile, (Arrêt du 20 avril 2017 n°16-15.529) a néanmoins précisé que le repentir suppose que la restitution soit portée à la connaissance des héritiers afin de permettre un partage conforme aux règles légales.
Et le repentir utile avant poursuite exige que la restitution ou la révélation soit “spontanée et antérieure aux poursuites” (Cass. Civ. 1ère, 17 janvier 2006), qu’elle intervienne avant que la preuve de la détention par l’héritier ait été administrée (CA Paris, 2 décembre 1987), avant une assignation en recel (CA Bordeaux, 19 octobre 1937) ou pour éviter un redressement fiscal (CA Orléans, 24 janv. 1994)
Il n’y manque que le pardon.
Nous n’y sommes pas encore.
Cela viendra peut-être.
Et peut-être y gagnerons-nous tous.
L'auteur
Avocat